Turkménistan : un régime autoritaire à l'ombre des Jeux asiatiques

Auteur: Stéphane | Publié: 13 Février 2024, 00:07
Turkménistan : un régime autoritaire à l'ombre des Jeux asiatiques

Turkménistan : un régime autoritaire à l'ombre des Jeux asiatiques

Par-dessus les nuages, loin de la mêlée des hommes. C'est là que nous est apparu le visage de Gourbangouly Berdimuhamedow, le président du Turkménistan, pour la première fois. La compagnie aérienne nationale affiche le portrait du bien aimé président. Partout, un tyran sur papier glacé. Son régime est considéré comme l'un des plus autoritaires au monde.

Nous filmons discrètement à l'aide d'un téléphone portable. Le pays vit reclus. Les journalistes sont habituellement interdits d'entrée. Le Turkménistan organise les jeux asiatiques de sports en salle et arts martiaux, et exceptionnellement, le régime a distribué des visas à quelques privilégiés. D'autres médias se sont vu refuser le précieux sésame.

Berdimuhamedow dirige le pays depuis 2007, d'une main de fer. Cet ancien dentiste, ancien ministre de la Santé, est obsédé par l'hygiène. - Vous là-bas, mettez-vous derrière moi. Qui a fumé une cigarette ? Je finirais bien par le savoir. Le protecteur, comme il se fait appeler, se met régulièrement en scène à la télévision nationale. Il a mis en place un culte de la personnalité digne de Kim Jong Un.

Avec la chanson, le sport est la grande lubie de Berdimuhamedow. Les Jeux asiatiques sont l'accomplissement d'un rêve. La cérémonie d'ouverture a été conçue comme un spectacle grandiose, une grande messe patriotique.

7600 figurants, 4 h de son et lumière et des centaines de chevaux turkmènes. L'emblème national. La cérémonie aurait coûté plus cher que celle des JO de Rio, car le pays aux 3 quarts désertiques a beaucoup d'argent. Il possède le quatrième plus grandes réserves de gaz au monde. Le président veut faire de ces Jeux une démonstration de force, et un hymne coloré à sa gloire.

À l'extrémité du village olympique flambant neuf, se trouve l'hôtel où seront cantonnés les médias étrangers. Chaque journaliste se voit attribuer une guide de jolies étudiantes, sous la supervision de ses fonctionnaires en costume noir. Aucune interview ne se fera sans leur accord, et ils nous ont prévu tout un programme de tournage. Ça commence par une visite d'Achgabat la merveilleuse, dans la joie et la bonne humeur.

Jamal, 25 ans, sera ma garde chiourme. Son père travaille pour l'entreprise qui a construit le village olympique. En quelques années, le despote a fait édifier une nouvelle capitale, grâce à l'argent du gaz. Des dizaines de monuments en or et marbre blanc, la plus grande concentration au monde, avec un style unique, le style Persico Palladien créé de toutes pièces, pour affirmer la puissance nationale.

- Voici le monument qui représente le protecteur. C'est le surnom de notre président. Il a été inauguré le 25 mai 2015. Le Turkménistan est devenu indépendant en 1991 à la chute de l'URSS, et n'a jamais connu la démocratie. Les habitants apprennent à chérir leurs dirigeants dès le plus jeune âge. - C'est le livre de notre président. Ça s'appelle "Le petit-fils qui exauce le rêve de son grand-père." - Ça parle de quoi ? - Ça s'appelle la nouvelle ère du renouveau. Le Musée d'histoire du Turkménistan renferme une riche collection de statues et d'objets artisanaux.

Mais l'attraction la plus cocasse est à la fin de la visite, un espace dédié à la passion d'un homme. - Notre président aime les sports automobiles. Il aime le vélo et aussi monter à cheval. Et c'est pour cela que nous conservons ces reliques dans notre musée. Le tour de la ville se termine dans ce centre commercial. Une autre étudiante prend le relais pour vanter le rêve turkmène et faire l'article.

- Voici l'uniforme des écoliers, la tenue pour la gym et la tenue normale. Et voici notre robe traditionnelle, toutes les femmes turkmènes en possèdent. - Les jeunes filles aussi ? - Oui, tout le monde, tous les âges. Mais lorsqu'il s'agit d'interviewer des habitants, cela se complique. La propagande déraille. - Le journaliste veut savoir si les ventes sont bonnes. Il faut lui dire que tout va bien. - Mais non, je ne sais pas quoi dire. Tu ne veux pas lui dire toi ? Je n'arrive pas à exagérer. - Dis-lui que les ventes cartonnent. Demande à la cliente de te répondre. - Pourquoi achetez-vous ce maillot ? - C'est pour aller voir les Jeux. Difficile de faire parler les Turkmènes que nous rencontrons, dans un pays sans information libre, ils craignent les conséquences d'une interview ou même d'un simple plan. Les milliers de balayeurs qui briguent le moindre recoin de la ville, ont reçu des instructions. Et au Turkménistan, la police ne plaisante pas. Depuis 20 ans, ils sont des centaines de journalistes, d'opposants, de militants des droits de l'homme à avoir été jetés au cachot. La plupart ont été torturés, et certains sont morts. Ceux qui restent doivent travailler dans le secret ou se taire. Nous voulons rencontrer l'un d'entre eux. De retour à l'hôtel, nous reprenons attache avec un contact basé à Prague, le rédacteur en chef de Radio Free Europe. Ce média diffuse des reportages envoyés depuis le Turkménistan, par une poignée de militants.

À l'aide d'une messagerie cryptée, nous devions rencontrer la dernière journaliste de la radio à travailler ouvertement dans le pays. Soltan Achilova, une grand-mère de 67 ans, mais quelques jours avant les Jeux, elle a dû fuir, près plusieurs menaces de mort. - J'étais constamment surveillée. Il y a parfois 5-6 personnes qui étaient postés en bas de l'immeuble où j'habite. Le 11 avril dernier, pendant la nuit, 2 jeunes gens sont venus sur le parking de l'immeuble où l'on vit. Un voisin a capturé toute la scène depuis le troisième étage. La voiture est inutilisable, alors que mon fils en a besoin. Il est handicapé et maintenant, il est bloqué.

Soltan est entré en résistance après que l'État a rasé la maison familiale il y a 10 ans, pour édifier la nouvelle capitale en marbre et or. Des quartiers entiers ont été détruits et des centaines de familles appauvries ont été relogés dans des appartements plus petits et parfois insalubres, sans réelle contestation possible. - Ils ont détruit la maison que nous avions construite de nos propres mains. Elle appartenait à notre famille. Ils l'ont entièrement rasée. J'ai écrit au président, aux ministres, aux juges en vain. Au Turkménistan, il faut des relations.

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Les reportages de Soltan racontent une autre histoire du Turkménistan, celle d'habitants ordinaires confrontés aux coupures d'eau, au chômage qui atteindrait 50 % dans la capitale et à l'arbitraire de l'État. - À cause de l'argent dépensé pour les Jeux, nous nous sommes appauvris et les droits de l'homme sont absents du pays. Ils voudraient que l'on reste assis tranquillement, pendant que nos droits disparaissent, on devrait garder le silence, vivre malheureux. Pourquoi ? C'est la question que je me pose, c'est pour ça que je continue de protester.

Soltan vit désormais en Géorgie, hébergé par une ONG. La grand-mère, en colère, espère pouvoir retrouver sa famille, d'ici quelques semaines, et continuer à faire entendre sa voix.

Pendant les Jeux, ce sont ces belles images qui ont été fournies aux journalistes accrédités. Et pas question de gâcher la fête. Plusieurs médias anglo-saxons n'ont pas pu pénétrer dans le pays. 5 jours après le début de l'événement, les responsables convoquent une conférence de presse, et les censeurs assument. - Merci à tous les journalistes pour vos reportages qui ont dépeint notre pays d'une façon si positive. Vous avez bien travaillé ces derniers jours et cela fait chaud au cœur. Le monde sait désormais de quoi est capable le Turkménistan.

Nous, nous n'accueillons que les journalistes sportifs, qui viennent pour parler de sport. On est des gens de sport, mais certains journalistes respectent uniquement leur propre culture. Ce jour-là, aucune question ne sera posée sur l'absence de démocratie au Turkménistan.

Cela fait 28 ans que je parcours le monde et que je vois des installations sportives. Et je n'ai jamais vu un aussi beau résultat. Je voudrais aussi remercier du fond du cœur le peuple turkmène. Pour avoir répondu à l'appel du président bien aimé. Le résultat est vraiment unique. Merci à vous.

James Bolly est un consultant anglais spécialiste mondial, de l'organisation de grands événements sportifs. Il a supervisé les JO de Londres en 2012 avant de créer sa propre entreprise, qui a remporté les plus gros contrats de ces dernières années, dont celui d'Achgabat. - Vous aidez le régime à faire de la propagande, pourtant, le Turkménistan est considéré comme l'un des régimes les plus répressifs au monde. Cela ne vous pose aucun problème ? - Nous avons travaillé étroitement avec le gouvernement turkmène et le Comité olympique asiatique, pour organiser ce fabuleux événement. Et c'est ça notre objectif, créer les plus beaux jeux possibles. - Vous n'allez pas répondre à ma question ? - Je ne ferai aucun commentaire.

Après cette interview, aucun responsable turkmène ne sera disponible pour un entretien. Le voyage en absurdie arrive à son terme. Malgré l'autoritarisme du régime, les 1000 et une lumière de la cagnotte gazière turkmène, continuent d'attirer les entreprises du monde entier. Leur logo scintille en bonne place sur cette avenue de la capitale. Le tyran est reçu partout : Berlin, Paris, Londres et Washington. L'avenir des droits de l'homme paraît bien sombre, et rien n'indique que l'aube soit proche.



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