La forêt, un héritage vital pour notre société

Auteur: Sandrine | Publié: 11 Décembre 2023, 15:00
La forêt, un héritage vital pour notre société

La forêt, un héritage vital pour notre société

Mes camarades, bien le bonjour ! On a souvent l’occasion de le dire : en Histoire, il faut pas trop juger les gens du passé, ni ceux du présent, d’ailleurs ! Parce que non, les populations nomades, chasseurs-cueilleurs et autres “homme des cavernes” n’ont pas été remplacés par l’homme des champs, l’agriculteur sédentaire moderne. En fait, un intermédiaire est apparu entre les deux, et c’est l’homme des bois. Ça n'a rien de péjoratif, bien au contraire : à travers le temps, le forestier a pris le meilleur des deux mondes, devenant même le grand ami de l’homme des champs. À travers toute l’Antiquité et le Moyen Âge, il a été tour à tour une activité économique, une classe sociale, et même un mode de vie. Et de nos jours, il se décline en mille métiers : bûcherons, gardes-chasse, gestionnaires, sylviculteurs, élagueurs, naturalistes, tous travaillent pour ou avec l’ONF, l’Office National des Forêts, qui est partenaire de cet épisode. Aujourd’hui, on va donc découvrir l’un des plus anciens et formidables métiers de l’Histoire, nécessaire à la survie de notre société sédentaire ! Ça fait un sacré héritage, et surtout une belle responsabilité à porter, surtout avec les défis climatiques qui nous attendent ! Alors commençons par ce fameux cliché de “l’homme des bois” sauvage : d’où ça vient ? Durant l’Antiquité, les bâtisseurs ont tout à fait l’habitude d’exploiter le bois. Aux yeux des Romains, celui venu des Gaules, de Belgique et de Germanie a particulièrement bonne réputation. Lors de son offensive de 218 avant notre ère, Hannibal a pu compter sur cette ressource stratégique pour surmonter les obstacles naturels : c’est avec le bois des Gaules qu’il fabrique canots, radeaux et navires pour traverser le Rhône, et c'est avec celui-ci qu’il réchauffe ses troupes lors du franchissement des Alpes. Bien plus tard, de 58 à 50 avant notre ère, c’est un autre grand stratège, Jules César qui constate l’importance vitale du bois lors de la Guerre des Gaules. Bien que le pays soit déjà administré et défriché, les différents peuples des Gaules peuvent compter sur de vastes forêts. Pour leurs navires, mais aussi leurs grands boucliers de bois et d’osier. César prend le temps de noter toute la diversité des espèces qu’ils utilisent, et comment ils fabriquent des murailles en bois vivant, garnies de ronces et d’épines. Ils trouvent aussi refuge ou dressent leurs embuscades dans des espaces forestiers, des camps retranchés servant de points de repli et de bases pour lancer des raids.

Diodore de Sicile, Strabon, et Pline l’Ancien reprennent et complètent ce que César a vu, et sous leurs plumes les Celtes des forêts deviennent de véritables chimistes : la sève de l’if est un poison pour les flèches, la résine de cèdre embaume les têtes des ennemis, les cendres de hêtres font du savon, les bouleaux et les épineux donnent toutes sortes de colles, de poix, et de bitumes pour la navigation et la construction ! Et il faut encore ajouter le frêne des roues de chariot et des navires, le chêne des charpentes, le noisetier des arcs, etc., etc. On a donc déjà atteint un haut degré de savoir-faire et de maîtrise technique. Mais attention, c’est pas parce qu’on maîtrise la science du bois qu’on a domestiqué tous les espaces boisés… Loin de là ! Aux yeux des Romains, le monde civilisé a ses limites. Cette frontière invisible, c’est le 'foris', le seuil, ce qui est à l'extérieur, étranger, lointain. Il y a donc deux types de bois : la 'silva', ou espace sylvestre, marqué par l’activité humaine, bien administré et exploité, illuminé par la lumière civilisatrice de Rome. Et puis la 'silva forestis', la forêt, qui est le bois du dehors, sauvage, dangereux, plein de ténèbres et de mystères. Comme par hasard, vers la Belgique et la Germanie, plus César s’éloigne de la lumière de Rome, plus il insiste sur les forêts primitives, profondes et obscures, garnies de peuples forestiers prêts à lui trancher la gorge ! En réalité, il plaque sa vision des choses sur un espace qu’il ne maîtrise pas : nul doute que les Germains, de leur côté, connaissaient très bien leurs forêts ! Cela dit, c’est vrai que tout territoire abandonné des humains finit souvent par devenir une forêt. Alors les Celtes aussi peuvent y voir un lieu non-humain. Par exemple, lorsque les peuples Vélioccasses et Bellovaques, c’est-à-dire entre les actuelles villes de Rouen et de Beauvais, ont cessé d’entretenir de bonnes relations, une zone-tampon désertique a fini par apparaître entre les deux. L’archéologie révèle un abandon progressif de cet espace, où les bâtisses ne sont plus réparées, et où bientôt seules restent des tombes. Des tombes… et des arbres ! La forêt qui grandit alors existe encore, c’est la forêt de Lyons, entre Beauvais et Rouen !

Comme on l’a dit, ces espaces en marge peuvent devenir des zones de repli, par exemple lors de la Guerre des Gaules. C’est là aussi dans ce 'pagus', de ce pays des païens, que les traditions perdurent le plus longtemps. D’où la chasse aux druides que les Romains mènent parfois dans le monde celte, en ciblant les forêts et les bosquets sacrés. Les prédicateurs chrétiens prennent ensuite le relais. Sulpice Sévère raconte par exemple comment des païens laissent Saint Martin raser un temple très ancien. Mais lorsqu’il va s’attaquer à l’arbre sacré du sanctuaire, la population se soulève : abattre un temple, oui, mais un arbre, ça, jamais ! Attention tout de même : les peuples des Gaules avaient des giga-temples dans les grandes villes, et les espaces sacrés sauvages, du type sources, grands arbres, bosquets, étaient loin d’être les épicentres de leur religion… Mais ça a juste été les derniers à disparaître. D’où le fameux cliché, qui a continué de circuler dans tout le Moyen Âge chrétien jusqu’à nos jours : c’est la forêt interdite d’Harry Potter, le pays des brigands de la Robin des Bois, ou des ténèbres païennes pas encore éclairées par le christianisme. Un jour, on fera un épisode spécial sur la forêt au Moyen Âge, promis, mais je vais résumer quand même l’essentiel. Revenons à la forêt de Lyons. Jusqu’au 2e siècle, elle avait une frontière marquée, et une route. Mais du 2e au 4e siècle, elle est abandonnée aux tombes, et ça devient un peu la forêt des morts ! Ce n’est qu'au 9e siècle que les rois carolingiens viennent y chasser, et à partir du 10e siècle environ, le cours d’eau de l’Epte marque une nouvelle frontière entre les diocèses. Alors que s’est-il passé ? Eh bien, les gens du Moyen Âge, comme à leur habitude, ont repoussé la frontière et combattu l’espace sauvage. Pour commencer, les vies de saints parlent souvent d’ermites chrétiens qui s’aventurent dans les forêts, perçues comme des déserts, voire des enfers spirituels, bref des zones à convertir. Ensuite, les villes défrichent, grandissent, et veulent des frontières plus fermes. Peu à peu, la forêt est revenue dans l’espace civilisé. Elle devient même une collection de droits, qui se juxtaposent les uns aux autres : il y a les cochons qui mangent les glands des sous-bois, les villageois qui glanent le bois de chauffage, ceux qui prélèvent des piquets de clôture, les exploitants qui marquent les bois de construction, les cueilleurs de champignons ou d’herbes médicinales, les vanniers utilisant l’osier pour leurs paniers, et tous ceux qui traquent le petit gibier… Il faut se dire qu’à l’époque, nourrir le bétail, et fournir le bois, ça forme deux fonctions absolument vitales pour les gens ! Et pourtant, en profitant d'un vide juridique, les rois carolingiens ont fait de la forêt de Lyons un fisc, c’est-à-dire un trésor impérial. Et c'est pourquoi eux seuls ont le droit d’y chasser le grand gibier, et gare aux braconniers ! Plus tard, les rois font de grands dons pour la fondation de monastères royaux : la forêt de Lyons devient domaniale, elle appartient aux monastères, qui captent une bonne part des droits anciens. La boucle est bouclée : l’antique forêt païenne sauvage est désormais une propriété exploitable, chrétienne, avec un cadre juridique précis. Les fonctions de chasseur-cueilleur n’ont donc pas du tout cessé, bien au contraire ! En défrichant la forêt, en y chassant le gibier qui ravage les récoltes, ou en utilisant son sol pour nourrir leur bétail, les humains sont restés des forestiers autant qu’ils sont devenus des agriculteurs ou des éleveurs. Encore aujourd’hui, seule la coexistence de tous ces métiers nous permet de nourrir tout le monde ! Et c’est pour ça que les gouvernements successifs, des premiers rois jusqu’aux derniers des présidents, ont pris des mesures pour encadrer et pour soutenir les métiers forestiers. Au 13e siècle, on s’est rendu compte qu'on ne pouvait pas se contenter d’exploiter la forêt par défrichement : il fallait aussi la gérer à plus long terme, afin de continuer à vivre de ses ressources. En 1219, une ordonnance de Philippe Auguste cite pour la première fois les Maîtres des Eaux et Forêts, qui gèrent le territoire, et même les délits et crimes de droit commun qui se déroulent dans les bois ! En 1291, Philippe le Bel affine encore le rôle des Maîtres des Eaux et Forêts, ses ordonnances expliquant le moindre détail, jusqu’au gabarit des poissons pêchés, aux types de filets, aux engins et nasses autorisées. Bref, ce n’est plus seulement le bailli d’un seigneur féodal qui fait appliquer la loi, mais bien un agent de l’État, qui exerce un contrôle sur les ressources naturelles. Ce sont de véritables enquêteurs. En 1315, Louis le Hutin donne une définition du mort-bois, le bois sans valeur commerciale : encore une fois, on crée des catégories, afin de répartir les droits de chacun et de maximiser la sauvegarde des forêts. On ne maîtrise pas encore la biodiversité, notamment des insectes qui vivent dans ces bois morts ! En 1346, l’ordonnance de Brunoy promue par Philippe VI donne pour mission aux fonctionnaires de préserver le capital forestier, grâce à une gestion, je cite, “soutenable” : on pourrait dire “durable” aujourd’hui, car cette volonté n’a toujours pas changé ! Sous le règne de Charles V, de 1371 à 1376, les Maîtres des eaux et forêts sont désormais dirigés par des “Souverain-Maîtres”. Ils parcourent tout le royaume, et les officiers équipés d’un marteau peuvent marteler, c’est-à-dire marquer des arbres réservés aux rois. On a clairement affaire à un service administratif complet, à la fois très centralisé sur les intérêts de la couronne, et capable de régenter tout le territoire fiscal, c’est-à-dire appartenant au roi ! C’est le fameux “régime forestier”, qui a vocation à protéger les espaces boisés, tout en les valorisant financièrement. Je pourrais continuer longtemps cette liste, mais on va abréger : un souverain après l’autre, les Eaux et Forêts finissent par étendre leurs pouvoirs à toutes les forêts, qu'elles soient royales ou non. L’État veille aux ressources du pays, et tant pis pour les mécontents ! On atteint des sommets en 1669, quand le ministre Colbert réalise une réforme des Eaux et Forêts. À chaque arbre sa fonction, à chaque forêt son nom : le taillis, par exemple, est uniquement constitué d’arbustes, des arbres de petite dimension. À l’inverse, la futaie est composée de très grands arbres, aux troncs bien dégagés qu’on...



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