Enquête sur les centrales d'achats européennes : quand la loi française est contournée

Auteur: Stéphanie | Publié: 11 Février 2024, 02:00
Enquête sur les centrales d'achats européennes : quand la loi française est contournée

Les mystérieuses centrales d'achats européennes

Dans le collimateur du gouvernement, il y a aussi le contournement de la fameuse loi égalim par de nombreux groupes de grandes distributions. Ces derniers passent parfois par des centrales d'achat installées à l'étranger, au Pays-Bas ou en Belgique, et qui permettent de contourner les obligations françaises. Vous allez voir comment ce système, pourtant légal, peut amener les agriculteurs à vendre à perte.

Négociations des prix dans les rayons

Les négociations sur les prix de vente dans les rayons viennent de s'achever avec un principe : interdiction de négocier le coût des matières premières agricoles afin de protéger la filière. C'est le principe même de la loi égalim.

Centrales d'achat européennes

En parallèle, il existe aussi des centrales d'achat européennes avec des contraintes allégées. Trois groupes français ont recours à ces centrales : en Espagne Carrefour a créé Eureka, au Pays-Bas Système U a rejoint Verest et en Belgique Leclerc négocie à travers Eurelc.

  • Leclerc s'associe avec des collègues européens pour être plus puissant.
  • Il négocie avec des grossistes qui ne sont pas concernés par la loi égalim et ils appliquent le droit local.
  • Ce qui permet théoriquement de contourner le droit français.

Un système opaque

Pour mieux comprendre, nous nous sommes rendus à Bruxelles où se trouve Eurelc. Malgré la présence policière lors d'un blocage d'agriculteurs, personne ne soupçonne la présence du siège de cette centrale d'achat. Mais Leclerc, sollicité à plusieurs reprises, refuse de s'exprimer sur le sujet.

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Néanmoins, nous avons pu obtenir des informations sur Relec, la centrale d'achat de Leclerc, qui fait du commerce de gros et compte une trentaine de salariés. Nous nous sommes également procurés un contrat signé fin 2023 avec un industriel de l'agroalimentaire, confirmant ainsi les activités de cette centrale d'achat.

Contourner les règles françaises

Les négociations de Leclerc sont régies par la loi belge, ce qui permet théoriquement de contourner les contraintes françaises imposées par la loi égalim. Chez Carrefour, on assure respecter le droit français dans l'alimentaire, tandis que Système U explique se mettre avec des collègues européens pour mettre leurs volumes d'achat ensemble et avoir du poids face aux grands groupes.

Le deux poids de mesure

Le monde agricole dénonce le deux poids de mesure actuel du secteur agroalimentaire, au détriment des agriculteurs. Les réglementations et contraintes sont nombreuses, parfois contradictoires, rendant la tâche difficile pour les agriculteurs. Certains dénoncent également l'évasion législative de certaines entreprises, qui commencent à se voir comme le nez au milieu du visage.

Des contrôles annoncés

Bercy promet désormais la multiplication des contrôles dans toute la grande distribution pour lutter contre ces pratiques. La crise agricole pose également la question des prix dans l'alimentation en Europe. Certains pays dénoncent des différences de prix importantes pour les mêmes produits. Certains réclament un prix unique en Europe sur les denrées alimentaires de base.

Manifestation d’agriculteurs sur l’autoroute A6 en direction de Paris. A Chilly-Mazarin (Essonne), le 31 janvier 2024. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »

Concurrents dans les magasins, les groupes de la grande distribution alimentaire deviennent partenaires lorsqu’il s’agit de discuter des conditions financières avec les fournisseurs. Leurs centrales d’achat basées à l’étranger sont aujourd’hui au cœur de la colère des agriculteurs français, victimes en bout de chaîne de la pression concurrentielle. La Confédération paysanne a appelé, mardi 30 janvier, à « bloquer les centrales d’achat et à cibler les prédateurs du revenu paysan », soit « les lieux où s’exerce cette pression sur [les] prix ».

Mercredi 31 janvier au matin, le syndicat classé à gauche a indiqué avoir installé un barrage filtrant devant une plate-forme logistique de Carrefour dans la banlieue toulousaine et celle dédiée aux produits frais d’E.Leclerc, à Cabannes, dans les Bouches-du-Rhône, qui dessert environ 70 magasins.

Sur fond de guerre des prix, les distributeurs avaient commencé à s’associer, dès 2014, pour mutualiser leurs achats au travers de sociétés communes situées sur le territoire français. Avec l’objectif d’acheter moins cher grâce à des quantités plus importantes. Au fil des ans, les alliances entre enseignes se sont nouées et dénouées avant de se délocaliser progressivement à l’étranger.

La plupart des enseignes utilisent désormais ce modèle pour négocier avec les grandes multinationales. E.Leclerc a fondé en 2016 avec le groupe allemand Rewe une centrale d’achat commune, Eurelec Trading, située à Bruxelles, qu’a rejointe le groupe néerlandais Ahold Delhaize, en septembre 2023. De son côté, Carrefour a lancé, en 2022, à Madrid, sa propre « centrale d’achat européenne à destination des grands fournisseurs internationaux », baptisée Eureca, afin de négocier pour six pays (France, Espagne, Italie, Belgique, Roumanie et Pologne).

Tandis que Système U a rejoint Everest en 2022, une centrale d’achat située aux Pays-Bas, pour acheter avec l’allemand Edeka et le néerlandais Picnic. « Nous n’en avons pas encore retiré les bénéfices, car les négociations ne sont pas passées par Everest cette année », assure-t-on chez Système U, qui prend soin de rappeler que cette centrale concerne ses 44 plus gros fournisseurs comme Nestlé, L’Oréal, Procter & Gamble, ainsi que les français Lactalis et Danone, mais pas ses « marques de distributeurs, ni les PME ».

En parallèle, quasiment tous ont créé ou rejoint des centrales de services, basées elles aussi à l’étranger. Même Intermarché et Casino, qui négocient leurs achats en France au sein d’Auxo depuis 2021, ont la leur à Bruxelles, appelée Global Retail Services. Par ce biais, les distributeurs commercialisent un ensemble de prestations destinées à accompagner les fournisseurs dans leur développement dans différents pays. Qu’il s’agisse du lancement européen d’un produit (par exemple, un industriel français de la charcuterie qui souhaiterait se développer en Allemagne), d’opérations promotionnelles sur plusieurs marchés en même temps ou bien de remontées d’informations statistiques sur leurs ventes…



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