La grande catastrophe de la mélasse à Boston

Auteur: Léa | Publié: 27 Novembre 2023, 15:00
La grande catastrophe de la mélasse à Boston

La grande catastrophe de la mélasse à Boston

Mes chers camarades, bien le bonjour ! Peut-être que ça vous arrive de vous réveiller parfois après un cauchemar, et de continuer d’avoir peur, en imaginant à quel point ce cauchemar serait terrible s’il devenait réel ? Et le pire, c’est que ça vaut aussi pour certains rêves, surtout les rêves des enfants qui sont complètement délirants. Imaginez un petit peu l’impact écologique d’une vraie montagne de chocolat, de rivières de soda, de nuages en barbe-à-papa, avec la destruction des sols et la mort de millions d’animaux que ça causerait ! Ou encore pire, imaginez un raz-de-marée de sucre ! Sauf que ça, bah l’Histoire en a vraiment connu un. Et les habitants de Boston en 1919 l’ont confirmé dans leurs témoignages : c’était vraiment un cauchemar…

Plus précisément : il s’agissait d’un raz-de-marée de mélasse. La mélasse, c'est un liquide sucré et sirupeux à la teinte brunâtre qu’on obtient en raffinant du sucre à partir de la canne à sucre ou de la betterave sucrière. Au début du 20e siècle aux États-Unis, on l’utilise entre autres comme édulcorant, ou pour faire de l’alcool. Bref : mis à part vous donner des caries, la mélasse, c'est pas franchement le truc le plus dangereux du monde. Enfin si : avec l’alcool industriel qu’on peut en tirer, il est possible de fabriquer de grandes quantités d’explosifs. Du coup, la Première Guerre mondiale a stimulé ce marché. Dès 1915, la hausse de la demande en mélasse est si forte que la Purity Distilling Company, une filiale de l’United States Industrial Alcohol Company, décide d’en construire un réservoir à Boston, plus précisément au numéro 529 de Commercial Street.

Alors là je suis sûr, y’en a qui ont entendu “explosifs”, ils se sont dits : 'ça y est, tout le quartier va péter !' Mais non, parce que je le répète : la mélasse, c’est du sirop inoffensif, vous pourriez dormir sur vos deux oreilles dans un océan de mélasse. En tout cas, jusqu’à ce que l’incompétence humaine s’en mêle… On parle quand même de réaliser un réservoir de 50 par 90 pieds : soit plus de 15m de haut pour environ 27m de diamètre ! Avec ses 9,4 millions de litres, il peut contenir bien plus que 3 piscines olympiques : autant dire qu’il a intérêt à être solide ! Mais pas de chance, Arthur Jell, le responsable qui supervise les travaux, n’a aucune expérience ni formation dans le domaine. Il est même incapable de lire correctement les plans. Autant dire que ça s’annonce déjà plutôt mal…

Mais le pire, c’est qu’il ne suit même pas sa feuille de route, car les tests de sécurité prévus dans ce cas-là ne sont pas faits ! Par exemple, une précaution de base : avant de mettre en service le réservoir, il faut le remplir d’eau pour détecter les éventuelles fuites. Mais là non, on n'a pas le temps. Les travaux doivent être finis en seulement 2 mois, vite, pour accueillir la première livraison de mélasse. Avec celle-ci, on s’aperçoit que, de fait, le réservoir a des fuites. Le danger possible devient bien réel, alors que va faire la compagnie ? Eh bien à peine informée, elle prend les mesures qui s’imposent : la mélasse qui coule est brune, donc on va peindre le réservoir en brun ! Comme ça, avec ce cache-misère, les gens n’y verront rien ! Là, on vient de franchir le champ de l’incompétence, cette fois-ci, c’est carrément criminel. Et en plus, complètement inutile, parce que les gens sont pas idiots, ils voient quand même qu'il y a des trucs qui coulent !

La preuve, les habitants du quartier ont l’habitude de placer leurs casseroles au pied de la structure, afin de récolter de la mélasse pour faire leur cuisine. Quoi de plus normal ? Il y en a des millions de litres, alors autant en profiter ! Mais tout le monde n’est pas aussi insouciant, et certains se méfient de cette possible bombe à retardement. Dans un rapport, un employé de la compagnie dénonce la structure défaillante du réservoir. Dans le 'Boston Post', un habitant du quartier, un certain H.M. Dorley, affirme qu’il avait prévu la catastrophe à venir, plus de trois ans en avance. Mais toutes ces alertes sont ignorées. Malgré la menace sucrée qui plane au-dessus du quartier de North End, les quelques lanceurs d’alerte sont ignorés, et se sentent bien seuls. Et ce petit jeu dure des années. Avec ce biais assez courant : 'ouais bah, ça a tenu aussi longtemps, donc ça tiendra encore' ! Eh bah non coco : 'ça a tenu aussi longtemps, mais ça va peut-être s’user, et céder, au moindre changement de température' !

D’ailleurs, puisqu’on en parle de température, ça y est, l’hiver 1919 arrive à Boston, et dans cette région voisine du Canada, le froid est rude ! Le 12 janvier, il fait environ -17°. Et justement, on vient d’encaisser une nouvelle livraison : 2,27 millions de litres de mélasse s’ajoutent à la cuve, pour un total de 8,7 millions de litres. Sans être plein à craquer, le réservoir approche de sa capacité maximale. Le 15 janvier, le temps s’améliore brusquement. Il fait maintenant 4°. C’est une journée plutôt douce pour un hiver bostonien.

Vers 00h30, plusieurs résidents entendent un drôle de bruit. Pour Joseph Hiller, ça ressemble à un grondement sourd. Martin Clougherty, qui était encore au lit, décrit lui aussi un grondement grave, qu’il entend depuis le 3e étage de sa maison. Soudain, certains s’affolent : 'tatatatata !' Un gangster vient de tirer une salve de mitrailleuse en pleine rue ! Pas du tout, ce sont les rivets du réservoir. Sous une pression incroyable, ils sautent en rafale, fusant à toute vitesse à travers les airs. Le réservoir vient de lâcher. Les 8,7 millions de litres de mélasse forment une vague de 4,5 m de haut. Elle fonce à 56 km/h à travers les rues, écrasant tout sur son passage : humains, chevaux et véhicules.

Et si vous pensiez pouvoir échapper à cette éruption sucrée, eh bien détrompez-vous : l’humain le plus rapide du monde, Usain Bolt, n’a jamais dépassé les 43 Km/h… Vous n’auriez donc eu aucune chance. La puissance du raz-de-marée est telle qu’elle emporte même des infrastructures et des bâtiments entiers. On a quand même le témoignage de certains qui ont survécu, en ayant le bon réflexe. C’est le cas du policier Frank MacManus, qui se retrouve à une trentaine de mètres du réservoir lorsqu’il sent instantanément une énorme masse de substance collante lui toucher le dos. Il voit la vague, qu’il bat à la course, mais uniquement parce qu’il s’est aussitôt précipité dans une rue adjacente.

Paradoxalement, quelqu’un comme Martin Clougherty, qui se retrouve pourtant en hauteur dans les étages de sa maison, est plus en contact avec la substance poisseuse. Mal réveillé par le bruit, il saute du lit et se retrouve dans une telle profondeur de liquide, qu’il croit pendant quelques instants être tombé dans le fleuve, de l’autre côté de sa maison ! Il faut dire que sa maison a complètement été renversée… Quant à Mary Musco, qui habite pile en face de chez Martin Clougherty, elle raconte qu’elle a vu la maison de Clougherty s’envoler dans les airs. Mais son témoignage prend vite un ton tragique, elle dit je cite : 'C’était horrible. [...] J’ai vu des gens courir dans tous les sens, couverts de mélasse. Ils hurlaient et ils pleuraient.'

En fait, la somme des témoignages donne une impression assez bizarre. D’un côté il y a des hurlements, des morts, des gens noyés, étouffés. Mais de l’autre, on est dans le domaine de l’étrange et de l’absurde : les gens, ils comprennent pas du tout ce qui leur arrive, ils ont l’impression d’avoir été projetés sur une autre planète, dans un roman de science fiction assez horrifique ! Martin Clougherty ne comprend pas trop où il est, les murs et les plafonds ont changé de sens, et il ne parvient pas à identifier la substance étrange qui l'imprègne partout.

Quiz

Quelle a été la cause de la catastrophe de la mélasse à Boston ?


Quels ont été les dégâts causés par le raz-de-marée de mélasse à Boston ?


Quel a été le bilan de la catastrophe de la mélasse à Boston ?


Note

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Dans un rayon de 60 à 75 mètres autour du réservoir, des bâtiments sont sens dessus dessous, détruits, endommagés… voire disparus, tout simplement parce que la vague les a déplacé ailleurs ! Le chemin de fer surélevé a aussi été endommagé, et l'un des wagons a été soulevé des rails. Partout, les cadavres flottent dans 60 à 90 cm de mélasse, qui recouvre toute la rue et les trottoirs. Certaines forment, prisonnières de ce piège à mouche géant, continuent de se débattre. Ce sont des humains et des chevaux ensevelis, ou simplement cloués au sol.

Imaginez la tête des secours quand ils sont alertés et qu'ils vont arriver ! Ils débarquent dans un genre d’enfer poisseux, noirâtre, et heureusement qu’ils sont là, parce que vraiment, il y a du pain sur la planche ! Les premiers débarqués sont les 116 marins de l’USS Nantucket, un navire amarré tout près de là. Ils sécurisent la zone, empêchant que des gens indemnes aillent s’enliser en essayant maladroitement de sauver les autres. Puis viennent les policiers, pompiers, femmes de la Croix Rouge, et autres volontaires. On monte à la hâte un hôpital improvisé pour traiter les blessés, et tous unissent leurs efforts pour tenter de sauver le plus de monde possible.

C’est déjà extrêmement difficile d’avancer dans la mélasse. Mais imaginez qu’en plus, le froid la solidifie peu à peu ! Et c’est bête, tout ça : imaginez un muret collant d’à peine 50 cm de haut, mais qui vous empêche littéralement de faire le moindre mouvement ! Eh bien du coup, les recherches de survivants s’étendent sur 4 jours ! Le bilan final est donc très lourd : 21 morts, 150 blessés. Les dégâts matériels s’élèvent à environ 500.000$ de l’époque, soit presque 8 millions d’euros. Puis, après la catastrophe, il faudra encore embaucher 300 travailleurs pour remettre la zone en état. Des pompes à eau salée sont utilisées pour se débarrasser de la mélasse. L’eau du fleuve fait ce qu’elle peut, mais ça n’empêche que l’eau du port reste brunâtre jusqu’à l’été. L’odeur sucrée continue à imprégner tout le quartier pendant plusieurs semaines, faisant naître une légende locale. Certains prétendent qu’encore de nos jours, lorsqu’il fait particulièrement chaud, on peut encore sentir de légers relents de mélasse dans le North End.

Si vous avez bien suivi, vous savez quelles sont les causes de ce désastre. Mais, on va résumer tous ces facteurs ensemble, parce que, maintenant, c'est le temps de trouver un coupable ! Premièrement, les délais de construction ridiculement courts : on veut tirer au plus vite profit de la guerre en Europe, alors le chantier est réduit à 2 mois, ce qui peut causer des malfaçons. Deuxièmement, le responsable du projet n’est pas qualifié, et donc de fait la cuve est de mauvaise facture. Troisièmement, on a négligé aussi les tests de sécurité obligatoires, mais aussi les problèmes de fuite pourtant constatés dès le départ. Quatrièmement, le brusque changement de température a pu jouer un rôle dans la dilatation du réservoir. Et enfin, il est possible qu’à l’intérieur même du réservoir, un processus de fermentation ait fait monter la pression ! Bref : on se retrouve dans le bon vieux cas classique. L’explosion n’a pas une cause unique, mais des facteurs qui se sont cumulés jusqu’au bout.

Évidemment, les victimes savent contre qui se retourner, à savoir la société propriétaire du réservoir. Aujourd’hui, a posteriori, ça peut sembler assez évident… Mais pas pour la United States Industrial Alcohol Company, qui se défend en accusant… les anarchistes ! C’est vrai qu’à.

infos sur les subtitles:

  • Les habitants de Boston en 1919 ont vécu une véritable catastrophe lorsque la mélasse stockée dans un réservoir a provoqué un raz-de-marée sucré dans le quartier de North End.
  • Le réservoir de mélasse avait été construit par la Purity Distilling Company, une filiale de l’United States Industrial Alcohol Company, pour répondre à la demande croissante de mélasse pendant la Première Guerre mondiale.
  • En raison de la construction bâclée et du manque de tests de sécurité, le réservoir de mélasse a finalement cédé en janvier 1919, causant la mort de 21 personnes et blessant 150 autres.
  • La vague de mélasse a inondé les rues de Boston, détruisant des bâtiments, emportant des véhicules et étouffant les victimes sous sa substance collante.
  • Les secours ont mis plusieurs jours à retrouver les survivants et à nettoyer la mélasse, qui a laissé une odeur sucrée persistante dans le quartier.


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