La grande catastrophe de la mélasse à Boston
Mes chers camarades, bien le bonjour ! Peut-être que ça vous arrive de vous réveiller parfois après un cauchemar, et de continuer d’avoir peur, en imaginant à quel point ce cauchemar serait terrible s’il devenait réel ? Et le pire, c’est que ça vaut aussi pour certains rêves, surtout les rêves des enfants qui sont complètement délirants. Imaginez un petit peu l’impact écologique d’une vraie montagne de chocolat, de rivières de soda, de nuages en barbe-à-papa, avec la destruction des sols et la mort de millions d’animaux que ça causerait ! Ou encore pire, imaginez un raz-de-marée de sucre ! Sauf que ça, bah l’Histoire en a vraiment connu un. Et les habitants de Boston en 1919 l’ont confirmé dans leurs témoignages : c’était vraiment un cauchemar…
Plus précisément : il s’agissait d’un raz-de-marée de mélasse. La mélasse, c'est un liquide sucré et sirupeux à la teinte brunâtre qu’on obtient en raffinant du sucre à partir de la canne à sucre ou de la betterave sucrière. Au début du 20e siècle aux États-Unis, on l’utilise entre autres comme édulcorant, ou pour faire de l’alcool. Bref : mis à part vous donner des caries, la mélasse, c'est pas franchement le truc le plus dangereux du monde. Enfin si : avec l’alcool industriel qu’on peut en tirer, il est possible de fabriquer de grandes quantités d’explosifs. Du coup, la Première Guerre mondiale a stimulé ce marché. Dès 1915, la hausse de la demande en mélasse est si forte que la Purity Distilling Company, une filiale de l’United States Industrial Alcohol Company, décide d’en construire un réservoir à Boston, plus précisément au numéro 529 de Commercial Street.
Alors là je suis sûr, y’en a qui ont entendu “explosifs”, ils se sont dits : 'ça y est, tout le quartier va péter !' Mais non, parce que je le répète : la mélasse, c’est du sirop inoffensif, vous pourriez dormir sur vos deux oreilles dans un océan de mélasse. En tout cas, jusqu’à ce que l’incompétence humaine s’en mêle… On parle quand même de réaliser un réservoir de 50 par 90 pieds : soit plus de 15m de haut pour environ 27m de diamètre ! Avec ses 9,4 millions de litres, il peut contenir bien plus que 3 piscines olympiques : autant dire qu’il a intérêt à être solide ! Mais pas de chance, Arthur Jell, le responsable qui supervise les travaux, n’a aucune expérience ni formation dans le domaine. Il est même incapable de lire correctement les plans. Autant dire que ça s’annonce déjà plutôt mal…
Mais le pire, c’est qu’il ne suit même pas sa feuille de route, car les tests de sécurité prévus dans ce cas-là ne sont pas faits ! Par exemple, une précaution de base : avant de mettre en service le réservoir, il faut le remplir d’eau pour détecter les éventuelles fuites. Mais là non, on n'a pas le temps. Les travaux doivent être finis en seulement 2 mois, vite, pour accueillir la première livraison de mélasse. Avec celle-ci, on s’aperçoit que, de fait, le réservoir a des fuites. Le danger possible devient bien réel, alors que va faire la compagnie ? Eh bien à peine informée, elle prend les mesures qui s’imposent : la mélasse qui coule est brune, donc on va peindre le réservoir en brun ! Comme ça, avec ce cache-misère, les gens n’y verront rien ! Là, on vient de franchir le champ de l’incompétence, cette fois-ci, c’est carrément criminel. Et en plus, complètement inutile, parce que les gens sont pas idiots, ils voient quand même qu'il y a des trucs qui coulent !
La preuve, les habitants du quartier ont l’habitude de placer leurs casseroles au pied de la structure, afin de récolter de la mélasse pour faire leur cuisine. Quoi de plus normal ? Il y en a des millions de litres, alors autant en profiter ! Mais tout le monde n’est pas aussi insouciant, et certains se méfient de cette possible bombe à retardement. Dans un rapport, un employé de la compagnie dénonce la structure défaillante du réservoir. Dans le 'Boston Post', un habitant du quartier, un certain H.M. Dorley, affirme qu’il avait prévu la catastrophe à venir, plus de trois ans en avance. Mais toutes ces alertes sont ignorées. Malgré la menace sucrée qui plane au-dessus du quartier de North End, les quelques lanceurs d’alerte sont ignorés, et se sentent bien seuls. Et ce petit jeu dure des années. Avec ce biais assez courant : 'ouais bah, ça a tenu aussi longtemps, donc ça tiendra encore' ! Eh bah non coco : 'ça a tenu aussi longtemps, mais ça va peut-être s’user, et céder, au moindre changement de température' !
D’ailleurs, puisqu’on en parle de température, ça y est, l’hiver 1919 arrive à Boston, et dans cette région voisine du Canada, le froid est rude ! Le 12 janvier, il fait environ -17°. Et justement, on vient d’encaisser une nouvelle livraison : 2,27 millions de litres de mélasse s’ajoutent à la cuve, pour un total de 8,7 millions de litres. Sans être plein à craquer, le réservoir approche de sa capacité maximale. Le 15 janvier, le temps s’améliore brusquement. Il fait maintenant 4°. C’est une journée plutôt douce pour un hiver bostonien.
Vers 00h30, plusieurs résidents entendent un drôle de bruit. Pour Joseph Hiller, ça ressemble à un grondement sourd. Martin Clougherty, qui était encore au lit, décrit lui aussi un grondement grave, qu’il entend depuis le 3e étage de sa maison. Soudain, certains s’affolent : 'tatatatata !' Un gangster vient de tirer une salve de mitrailleuse en pleine rue ! Pas du tout, ce sont les rivets du réservoir. Sous une pression incroyable, ils sautent en rafale, fusant à toute vitesse à travers les airs. Le réservoir vient de lâcher. Les 8,7 millions de litres de mélasse forment une vague de 4,5 m de haut. Elle fonce à 56 km/h à travers les rues, écrasant tout sur son passage : humains, chevaux et véhicules.
Et si vous pensiez pouvoir échapper à cette éruption sucrée, eh bien détrompez-vous : l’humain le plus rapide du monde, Usain Bolt, n’a jamais dépassé les 43 Km/h… Vous n’auriez donc eu aucune chance. La puissance du raz-de-marée est telle qu’elle emporte même des infrastructures et des bâtiments entiers. On a quand même le témoignage de certains qui ont survécu, en ayant le bon réflexe. C’est le cas du policier Frank MacManus, qui se retrouve à une trentaine de mètres du réservoir lorsqu’il sent instantanément une énorme masse de substance collante lui toucher le dos. Il voit la vague, qu’il bat à la course, mais uniquement parce qu’il s’est aussitôt précipité dans une rue adjacente.
Paradoxalement, quelqu’un comme Martin Clougherty, qui se retrouve pourtant en hauteur dans les étages de sa maison, est plus en contact avec la substance poisseuse. Mal réveillé par le bruit, il saute du lit et se retrouve dans une telle profondeur de liquide, qu’il croit pendant quelques instants être tombé dans le fleuve, de l’autre côté de sa maison ! Il faut dire que sa maison a complètement été renversée… Quant à Mary Musco, qui habite pile en face de chez Martin Clougherty, elle raconte qu’elle a vu la maison de Clougherty s’envoler dans les airs. Mais son témoignage prend vite un ton tragique, elle dit je cite : 'C’était horrible. [...] J’ai vu des gens courir dans tous les sens, couverts de mélasse. Ils hurlaient et ils pleuraient.'
En fait, la somme des témoignages donne une impression assez bizarre. D’un côté il y a des hurlements, des morts, des gens noyés, étouffés. Mais de l’autre, on est dans le domaine de l’étrange et de l’absurde : les gens, ils comprennent pas du tout ce qui leur arrive, ils ont l’impression d’avoir été projetés sur une autre planète, dans un roman de science fiction assez horrifique ! Martin Clougherty ne comprend pas trop où il est, les murs et les plafonds ont changé de sens, et il ne parvient pas à identifier la substance étrange qui l'imprègne partout.
Quiz
Quelle a été la cause de la catastrophe de la mélasse à Boston ?
Quels ont été les dégâts causés par le raz-de-marée de mélasse à Boston ?
Quel a été le bilan de la catastrophe de la mélasse à Boston ?
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